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3- Pénélope, modèle de maternité et de fidélité
Jeune fille, Pénélope est d’une grande beauté.
Plusieurs princes demandent sa main à Icarios, son père, roi de Sparte et champion de courses de chevaux. Pour éviter les querelles entre les prétendants Icarios les oblige à disputer une course contre lui. Ulysse sera le vainqueur et il obtiendra la main de Pénélope.
Celui qui deviendra le roi mythique d’Ithaque a conquis Pénélope …aux courses.
Précurseur du « champion » médiéval, le héros grec, prince ou homme de haut rang, doit parfois vaincre pour son camp lors d’un combat singulier (Achilles vs Hector par exemple).
Mais aussi « gagner » le cœur d’une noble dame en présence de prétendants, par la force si nécessaire ou défendre son honneur lorsqu’elle est mise en cause.
La compétition pour obtenir « la main » d’une jeune femme ne nécessitait visiblement pas son avis.
Les femmes ont été considérées comme « mineures » jusqu’au début du 20ème siècle en occident. Soit durant 31 siècles depuis le récit d’Homère.
Chez les grecs achéens (comme dans bien d’autres civilisations) le père donnait sa fille en mariage.
Il faut attendre les Romains pour que le père donne « sa main » (c'est-à-dire l'autorité sur sa fille) à son futur gendre. Ce mariage était appelé « cum manu », avec la main.
Dit ainsi, ça semble plus sympa. La main,… c’est bien la main.
Mais juste la main, c’est insuffisant pour assurer une descendance.
La question de la possession de l’être n’est jamais loin et non de la seule main.
La République romaine a créé un mariage où l’épouse reste sous l’autorité du père (et non du mari), créant un espace de liberté et d’égalité inédit pour les femmes.
L’Empire n’aura de cesse de le réduire et de lui tordre le cou.
Le mariage restant une affaire conclue entre deux hommes : le père et le gendre.
Pratique qui se poursuivit et se fixa bien au-delà du moyen âge.
Ce système multimillénaire de « l’octroi » d’une femme à un homme est toujours présent.
Les autorisations royales données aux gens de cours se sont banalisées et ont survécu dans les accords dotaux tutélaires, négociés par des gens, tout court.
En ce sens l’Odyssée n’a malheureusement rien d’un récit passéiste.
Pénélope épouse d’Ulysse, une des plus célèbres femmes de l’antiquité, était chargée de tâches strictement domestiques. Remarquable tisserande honorée pour cela dans la mythologie grecque. Modèle de maternité et de fidélité et néanmoins épouse d’un légendaire « Wanax », héros mythique aux mains avec de monstres et d’entreprenantes nymphes, qui font tout pour l’empêcher de retrouver Ithaque et ainsi sa reine.
Pénélope, une sorte de « fée du logis » antique, attend inlassablement le retour du héros pendant que la nymphe ensorceleuse Circé, également tisserande hors pair, s’ingénie à « retenir » son époux en maniant le poison et la séduction.
Les femmes mortelles grecques de l’Odyssée sont emprisonnées dans une morale de soumission rigide, alors que les belles nymphes et déesses immortelles sont libres de leurs sens et de choisir leurs amants, usant du désir comme instrument de conquête et jetant des sorts magiques pour parfaire le résultat escompté : dominer et s’approprier ces hommes mortels...si exigeants avec leurs épouses.
L’Odyssée désoriente.
4- Morale grecque rigide : fidélité et vertu
Les anciens Grecs avaient une notion de la fidélité injuste et sexuée.
Si un homme marié avait des relations sexuelles avec une femme qui n'était pas son épouse et que celle-ci n'était pas mariée à un autre homme, cela était considéré comme normal et acceptable.
Il était également admis que les hommes mariés puissent avoir des relations avec des prostituées.
Ils réalisaient leur propres désirs et il n'y avait donc rien de mal à cela.
Cependant, si une femme avait des relations sexuelles avec un autre que son mari, il s'agissait d'un crime impardonnable, l'un des pires qu'une femme puisse commettre.
Même si l’époux était absent depuis des années (10 ans de guerre et 10 ans d’errance sur les mers par exemple).
Pénélope avait-elle un autre choix que d'attendre fidèlement le retour d'Ulysse, ou la certitude de sa mort par la présentation de sa dépouille ?
Les Grecs considéraient la trahison comme l'un des pires crimes que quiconque puisse commettre.
L’infidélité de l’épouse était dès lors considérée comme « l'acte ultime de trahison ».
Le délit était si grave que le mari était légalement autorisé à la tuer sur place s'il l'a surprenait en flagrant délit.
Pénélope est-elle restée fidèle par obligation ?
Les raisons d’une telle injustice s’enracinent dans l’idée de « pureté » nécessaire de la descendance.
Les hommes de l'antiquité qui quittaient durablement leur foyer (à la guerre ou sur les mers) vivaient régulièrement dans la suspicion de l’infidélité de l’épouse, avec un corolaire déshonorant : la crainte d’avoir à élever comme sienne la progéniture d’un autre homme.
Une conséquence jugée plus infâmante encore que la cause elle-même !
Une citation d’Euripides l’énonce ainsi :
« Εὶ δὲ μήτηρ ιλότεκνος μᾶλλον πατρός · μὲν γὰρ αὑτῆς οἶδεν ὄνθ᾿, δ᾿ οἴεται. »
(Euripides’s Fragment 1015)
« A mother always loves her children more than a father does, for she knows they are hers, while he (only) thinks so. »
(HARVARD University Press © 2023 President and Fellows of Harvard College)
« Une mère aime toujours plus ses enfants qu'un père, car elle sait qu'ils sont les siens, alors qu'il (ne peut que) le penser. »
Mille quatre cent ans plus tard, au début de la période byzantine, il apparut qu'il s'agissait d'un double standard moral sans fondement et que les hommes qui trompaient leur femme commettaient exactement la même faute que les femmes qui trompaient leur mari. En particulier, le père de l’Église chrétienne Ioannis Chrysostomos (349 - 407 après. J.-C.) indiquait « C’est le même "crime" pour les deux»
Au travers d’un récit d’aventures l’Odyssée présente un modèle sociologique antique acceptant un postulat de vertu différenciée.
Or cette morale grecque différenciée imposée par les hommes n’existe pas sur l’Olympe.
Les hommes restent soumis aux dieux.
Si la domination des êtres mortels est l’apanage des dieux grecs, soumettre les femmes n’est peut-être pas un pouvoir que les hommes peuvent exercer sans limite.
Les dieux les punissent en laissant les nymphes se jouer d’eux.
Un rééquilibrage divin en quelque sorte.
Même s’il se situe dans la mythologie et pas réellement dans le monde terrestre…
Une femme pouvait-elle « prendre» la main d’un homme sans la demander à son père, voire décider de s’unir avec celui qui lui plaît sans être considérée comme "inférieure" ?
Une simple mortelle, non.
Il fallait donc être immortelle (ou presque) pour « prendre » une main masculine.
Sans rendre compte à qui que ce soit. Par la séduction, voire la contrainte que peuvent et savent utiliser les démiurges.
Les nymphes sont particulièrement appréciées par Homère à cette fin.
Des femmes qui se comportent en amour comme les hommes, égales en bien et en mal.
Elles sont des divinités féminines de la nature, caractérisées par leur beauté et souvent les progénitures de dieux, comme Calypso, la fille d'Atlas.
Elles vivent longtemps sans être immortelles, toutefois l’ambiguïté est entretenue par Homère qui les qualifie parfois cumulativement de « déesses ». Qui, elles, sont immortelles.
Telle Calypso qui offre à Ulysse « l’immortalité » pour le retenir.
Et Circé, nymphe experte en séduction toxique, presque immortelle, qui s’empare passionnément d’Ulysse pour le rendre en définitive à son destin, par nécessité (voir infra).
Malgré lui et peut être malgré elle.
Notion complexe de ce récit qui peut mêler, sans contredire cette morale antique, la séduction libérée des nymphes démiurges à la vertu stricte et hiérarchisée des femmes au temps d'Ulysse.
5- Circé la nymphe magicienne, pourquoi céder à un simple mortel ?
Le mythe de Circé n’a pas été créé par Homère, il est tiré du folklore antique transmis par les aèdes (conteurs), notamment dans l’épopée de Gilgamesh (Babylone) qui date des XVIIIe et XVIIe siècles avant J.-C.
Aux prises avec les pires malheurs qui lui sont envoyés pour qu’il ne rentre jamais chez lui (nous verrons pourquoi un peu plus loin), Ulysse fait un très long «break» dans les bras de Circé, "Κιρκη"/ "Kιrkè", qui signifie « oiseau de proie », la magicienne dite « εὐπλόκαμος » / euplokamos, « aux belles boucles » …et aux redoutables poisons.
Dotée en outre d’un pouvoir très efficace qui pas besoin de mixtures pour agir : l’art de séduire et de susciter le désir.
Et mieux vaut ne pas lui résister, simple mortel ou dieu grec, peu importe :
- Le dieu marin Glaucos vient un jour lui demander un philtre magique pour s’attirer les faveurs de la belle nymphe Scylla, qui reste insensible à ses avances.
Circé s’éprend de Glaucos, qui cependant la repousse.
Pour se venger elle transforme la belle Scylla (qui n’avait rien demandé) en monstre marin (qui fera désormais face à un autre monstre, Charybde, dans le détroit de Messine – d’où l’expression consacrée « tomber de Charybde en Scylla » , aller de mal en pis ).
- Circé punit aussi Picus, roi d’Italie qui a également refusé ses faveurs, elle le change en pivert…Cui-cui...Toc-toc...
Pousser la porte de la luxueuse demeure de Circé devrait nécessairement conduire le visiteur à une prudence extrême.
La plus grande aventure amoureuse de la magicienne « aux belles boucles » est indéniablement celle qu’elle vit avec Ulysse. Elle diffère radicalement des autres.
Quel sens lui donner ?
Après avoir quitté le pays des Lestrygons (Bonifacio ou Porto Pozzo), Ulysse et ses compagnons arrivent sur l’île de Circé : "Aia", Ééa.
“Et nous naviguions loin de là, tristes dans le cœur d’avoir perdu tous nos chers compagnons, bien que joyeux d’avoir évité la mort. Et nous arrivâmes à l’île Aiaiè, et c’est là qu’habitait Kirkè aux beaux cheveux, vénérable et éloquente déesse, sœur du prudent Aiètès. Et tous deux étaient nés de Hèlios qui éclaire les hommes, et leur mère était Persè, qu’engendra Okéanos. Et là, sur le rivage, nous conduisîmes notre nef dans une large rade, et un dieu nous y mena. Puis, étant descendus, nous restâmes là deux jours, l’âme accablée de fatigue et de douleur. Mais quand Éôs aux beaux cheveux amena le troisième jour, prenant ma lance et mon épée aiguë, je quittai la nef et je montai sur une hauteur d’où je pusse voir des hommes et entendre leurs voix. Et, du sommet escarpé où j’étais monté, je vis s’élever de la terre large, à travers une forêt de chênes épais, la fumée des demeures de Kirkè.”
Comme souvent, la première rencontre commence par une tentative d’empoisonnement du/des visiteur(s).
Donc rien d’anormal chez Circé. Tout va bien en quelque sorte.
Après avoir changé la quasi-totalité de l’équipage d’Ulysse en porcs (classique), Circé tente d’empoisonner Ulysse (normal).
S’il n’avait pas bénéficié in extremis d’un antidote donné par Hermès pour résister au poison de Circé, il aurait succombé (logique).
Mais grâce à l’antidote de ce dieu protecteur, le poison n’agit pas et Circé doit affronter la bravoure du héros grec, qui sort de dix ans de guerre, sait dominer sa peur et manie la ruse à la perfection.
Il impose sa détermination farouche à Circé, épée en main.
Circé doit s’incliner et céder à Ulysse.
Vraiment ? La belle sorcière chevronnée serait-elle bien disposée, pour une fois.
Le héros est « récompensé » par la sulfureuse nymphe (au sens de l'hydrogène sulfureux, poison mortel produit par décompositin organique, que Circé doit connaître) :
Elle lui demande de la rejoindre dans sa couche, garantissant qu’il ne risque rien.
« Notre couche », dit-elle, « dans un ἱερὸς γάμος » / « hieros gamos », dans un « mariage sacré ».
Un mariage sucré plutôt…? Non, non, « sacré »...Hola...c’est quoi au juste ce mariage « sacré » avec cette belle empoisonneuse…?
Sans consulter son avocat ni souscrire une assurance-vie, Ulysse accepte.
L’Odyssée, sans filtre, révèle ainsi l’art de séduire de Circé.
Pour parvenir à ses fins elle manie comme toute poétesse ou tout aède (comme Orphée), un langage qui charme.
- Le verbe qui désigne son pouvoir oratoire est θέλγειν / « thelgein », qui signifie « charmer par des enchantements magiques, séduire ».
Comme le romain Tacite, maître de la rhétorique, l’exprimait si bien, avec cet art du verbe antique, aussi précieux que précis :
« Eloquentia magna flamma est; materia nutrit, vivificat et ardet ut lucet. »
"La grande éloquence est comme une flamme; la matière la nourrit, le mouvement l'avive et c'est en brûlant qu'elle projette son l'éclat".
L’art du verbe et de la séduction en un seul être, jetant des sorts terribles.
Auxquels la nymphe peut mettre un terme volontairement, si elle y consent.
Est-ce une ruse, le héros vainqueur de Troie doit-t-il lui résister ?
Ulysse a-t-il "uniquement" accepté une relation charnelle qui n'offense pas la morale différenciée grecque, ou a-t-il été trompé par Circé ?
Ulysse l’écoute, Circé lui a cédé.
Ou l’inverse.
Est-ce bien...ou pas.
L’Odyssée laisse en suspens son lecteur.
Le charme de Circé, au sens premier du mot, est si efficace qu’il fait d’Ulysse un homme passif qui vient à oublier la nécessité de son retour en partageant durablement la couche de Circé.
Le but secret de Circé serait-il d’assouvir la colère de Poséidon contre Ulysse (voir infra).
Au moins trois enfants sont nés de leur union.
Ulysse a donc résisté aux nymphes... comme il a pu.
Pénélope l’attendait sur Ithaque.
Cette relation charnelle durable entre le roi-héros déterminé à retrouver Pénélope et une séductrice empoisonneuse renommée aux victimes multiples est acceptée par la morale grecque.
Appréciation assez éloignée de notre morale judéo-chrétienne.
Vertu et fidélité sont dissociées dans le monde d’Ulysse.
Il peut rester fidèle à Pénélope en s’unissant à Calypso, Nausicaa et Circé dans la mesure où il n’offense pas la vertu du XIII ème siècle avant JC.
Ces nymphes n'étant ni totalement mortelles, ni mariées, aucun mari n’aura à élever à son insu la progéniture d’un autre homme.
Par conséquent il respecte la vertu grecque et ainsi il ne trompe pas Pénélope…
CQFD.
Simpliste ?
Là… oui.
6- Ulysse, entre vertu et passion.
Ainsi, Ulysse était un mari fidèle et aimant dans la Grèce mycénienne du XIIIème siècle avant JC, il n’enfreignait aucune règle d’honneur fondamentale.
Ses aventures charnelles font partie du récit épique, décrites très naturellement dans l’Odyssée.
Sept années avec Calypso et plus d’un an auprès de Circé, chacune ayant eu un ou plusieurs enfants du héros grec par excellence.
Dans la Grèce mycénienne cela n’éloignera pas le roi-héros de son désir ardent, le seul but ultime de l’Odyssée voulu par Homère : retrouver Pénélope après vingt ans d’éloignement.
Quittant les nymphes, le héros souhaite ardemment retrouver la femme de sa vie.
Sans pour autant interroger l’avis de sa femme sur les enfants conçus et nés "outre-mer".
Si Poséidon est l’instigateur secret du désir et de la passion de Calypso ou Circé pour tromper Ulysse, toutes ces considérations cèdent devant l’amour du héros pour Pénélope.
La "Télégonie" (après l’Odyssée), montre qu’Ulysse n’a pas rompu avec Télégonos, son fils conçu avec Circé.
Et l’Odyssée révèle que la pauvre Calypso, inconsolable après le départ d'Ulysse, a rencontré ensuite Télémaque (fils d’Ulysse), éprouvant aussitôt pour ce jeune homme une ardente passion.
Lui offrant, comme à son père, l’immortalité pour qu’il reste auprès d’elle...
Soit chez Ulysse, père et fils, on utilise un after shave intensément aphrodisiaque, soit les nymphes seraient en proie à une solitude relationnelle liée à leur isolement sur des îles lointaines qui les poussent à s'unir avec les deux voyageurs d'Ithaque.
Et à une sorte d’ennui déprimant que cause l’immortalité, qui n’a donc pas grand intérêt sans l’amour d’un mortel...
Remarquons que les compagnons d'infortune d'Ulysse n'ont pas le même attrait, changés en porcs, dévorés par le Cyclope, noyés...
L'Odyssée est concentrée sur certains personnages mythiques qui, par leurs qualités cumulées se "déifient" au fur et à mesure du récit.
L'Odyssée est-elle une aventure humaine ou un conte à la gloire des dieux grecs, seuls maîtres de l'issue qu'il leur plaira de donner, sans céder aux faiblesses des mortels ?
Vingt ans d’errance loin de Pénélope, sans la voir ni entendre le son de sa voix, n’y auront rien changé.
La passion d’Ulysse pour celle dont il a reçu la main est telle qu’elle ne s’éteindra jamais.
Est-ce un mythe réservé au héros, ou concerne-t-il les êtres "ordinaires" ?
La logique du récit homérique choisi les êtres hors normes, mais ils restent des modèles pour les autres hommes.
Il faut donc essayer...
7- Souffrance, persécution et mort du héros grec (La Télégonie)
Si cela est nécessaire à sa gloire, le héros doit souffrir pour honorer les dieux qui s’affairent à déplacer les pions mortels sur leur échiquier.
Ulysse est admiré par les siens et renommé pour sa « mètis ».
Pourtant ce don va offenser un dieu (et pas des moindres).
L’Odyssée, qui devait être le retour mérité du héros auprès de sa reine, va devenir dès lors une suite de souffrances et de persécutions pour Ulysse.
Il a commis une erreur : il a crevé l’œil du Cyclope cannibale Polyphème, fils de Poséidon et de la nymphe Thoôsa (le cyclope avait quand même consommé en plat du jour quatre de ses marins…).
Ulysse, usant de sa « mètis » légendaire, avait indiqué à Polyphème s’appeler « Personne ».
Par cette ruse, il empêchait Polyphème de le désigner par son vrai nom aux autres Cyclopes.
Profitant du sommeil de Polyphème, Ulysse et son équipage crèvent l'œil unique du géant en utilisant un pieu d’olivier durci au feu.
Lorsque les cris de douleur attirent les autres cyclopes et que ceux-ci demandent à Polyphème qui a fait cela…il ne peut que répondre « c’est Personne » !
Ils le croient devenu fou et l’abandonnent à son sort.
Mais après avoir rendu aveugle le géant pendant son sommeil, Ulysse croyant l’avoir vaincu et hors de danger, il veut que le Cyclope sache qui est le mortel qui s’est joué de lui : railleur, pêchant par vantardise, il lui révèle son véritable nom ; « Ulysse ».
Erreur aux terribles conséquences. Le Cyclope demande l’aide de son puissant père, Poséidon, pour châtier ce simple mortel rusé, mais très imprudent (pour une fois):
« Écoute, Poséidon aux cheveux bleus, maître des terres ! Si je suis vraiment ton fils, toi qui prétends m’avoir fait, empêche de rentrer chez lui cet Ulysse, Fléau des villes ! »
(Odyssée, IX, 528-530.)
Ulysse devra dès ce jour subir sur mer et sur terre la colère de Poséidon, en dépit du courage de ses hommes et de la protection des autres dieux.
Il devra souffrir les maux qui lui seront infligés par Éole, les Lestrygons, Circé, les Cimmériens, les Sirènes, Charybde et Scylla, les vaches du Soleil, l’île de Calypso, les Phéaciens et Nausicaa…
Après dix ans de guerre à " Ilios ", il est désormais condamné à une nouvelle absence de dix ans, perdu dans une errance aliénante et cruelle loin de Pénélope. Voyant mourir ses marins et amis un à un lors de son retour.
Jusqu'à rester seul face à son destin.
Autant d’obstacles prolongeant le calvaire du Wanaka mycénien, y compris par la séduction et les relations charnelles avec des nymphes qui, en le retenant, concourent en définitive à la vengeance de Poséidon. Et non à l’aboutissement de la quête de cet homme, fut-il un héros mythique.
Duplicité ?
Circé semble être à part.
Dans l’Odyssée, le seul fils connu d’Ulysse est Télémaque, l’enfant qu’il a eu avec Pénélope.
Cependant, selon l’Épopée du « cycle troyen », une autre légende attribuée à Eugammon de Cyrène, poète grec antique de l'époque archaïque (-560 av JC) la Télégonie prend la suite de l’Odyssée.
De ses amours avec Ulysse, Circé aurait conçu plusieurs enfants :
- Télégonos, qui aurait fondé la ville de Tusculum,
- Latinos, à l’origine de la création du Latium,
- Agrios, dont le nom signifie « le Sauvage »,
- Nausithoos, selon Hygin au Ier siècle après J.-C.,
- Romos, Antias et Ardéas, éponymes des trois cités de Rome, Antium et Ardée,
- Une fille Cassiphoné, qui aurait épousé, selon les versions, soit son frère Télégonos, soit son demi-frère Télémaque, qu’elle aurait tué...
Ulysse a eu avec la magicienne ce fils, Télégonos, qui ne connaît pas encore son père. Après le retour du roi sur Ithaque, il part le rerouver, impatient de le voir.
Lorsqu'il arrive à Ithaque Télégonos et son équipage se servent chez l'habitant pour se nourrir.
Alerté par ce qui passe pour un pillage, Ulysse se rend sur place pour combattre et défendre son île.
Télégonos, qui n'avait jamais vu son père et ne pouvait le reconnaître ...le tue.
Tout ce chemin pour un drame qui fait de Télégonos un paricide, lui qui avait hâte de retrouer ce modèle, son père.
C'est dans cette ambiance d'une grande gaïté, qui voit tous les acteurs effondrés, que meurt le héros mythique, roi juste et brave, admiré de tous, aimé des ses fils Télémaque et Télégonos, de Pénélope et probablement de Circé.
Est il est mort ?...vraiment mort, ou bien les dieux qui l'ont protégé vont-ils descendre du ciel pour "rectifier" ce scénario dramatique ?
Rien. Personne ne viendra lui rendre la vie.
Par cette Odyssée sans égale qui fascine encore après 3000 ans, Ulysse a accompli le destin qui était donc le sien : son souvenir sera éternel.
Il sera la fierté du monde grec et l'élu des dieux, impitoyables avec certains hommes, mais qui les aiment parfois assez pour que certains accèdent à la postérité.
Aide-toi et le ciel t'aidera.
Comprenant son erreur, Télégonos ramène la dépouille de son père, ainsi que Pénélope et Télémaque... chez Circé.
Selon d'autres conteurs Circé rend alors immortels Télégonos, Télémaque et Pénélope (ce qui semble difficile pour une nymphe qui elle-même n'est pas immortelle); Pénélope épouse Télégonos et Circé épouse Télémaque...(!)
Apparemment ces auteurs n'acceptent pas la fin si dramatique de l'Odyssée et s'éloignent du mythe douloureux du héros grec (en se rapprochant d'une version hellénique d'Harry Potter).
On ne peut pas vaincre son destin.
8- Interprétation (personnelle) de cette longue histoire
Si l’on fait une lecture un peu plus intimiste de l’Odyssée, l’Histoire ne se résume pas à l’Iliade, aux seuls édifices monumentaux, aux forteresses assaillies dans le fracas des armes, au cheval de bois imaginé par Ulysse qui assurera la victoire des achéens, puis à la mise à sac de Troie et les flammes du brasier qui suivra.
L’Odyssée est aussi le siège de la séduction, qui s’avère être un instrument perfide des nymphes, orchestré par Poséidon.
Elle donne à ce récit homérique une humanité qui se fond dans la déité de l’Olympe et crée pour des siècles le plus magnifique des contes d’aventure.
Ses lectures diffèrent selon la manière dont on l’aborde et chacun(e) pourra y trouver un sens au gré de la hiérarchie de ses sentiments.
Vertu, fidélité, duplicité, désir, morale, passion, courage, bravoure, héroïsme…
Pourquoi avoir écrit l'Odyssée; le retour du héros ?
Ce thème est saturé depuis l'origine de l'écriture par d'innombrables histoires (de qualités très inégales).
Plus que le retour physique lui-même et son corrollaire émotionnel des retrouvailles, c'est la motivation du retour qui importe chez Homère :
Quel que soit le but secret des nymphes en retenant Ulysse, ou le désir de Pénélope de retrouver à tout prix son Ulysse royal, auréolé de gloire, il faut bien s'avouer que ces hommes, tout héros qu'ils soient ne peuvent pas vivre sans ces femmes.
Seule la mort les en empêchera.
Tel Hector, Prince troyen modèle épris d'Andromaque, père attentif pour leur fils Astyanax, fils et frère exemplaire, d'une grande sagesse et souvent considéré comme le véritable héros de l'Iliade. Il sait qu'Achilles, ivre de vengeance, va le tuer et qu'il ne reverra plus Andromaque. Il mourra en héros, son corps traîné par le char du vainqueur sous les remparts de Troie, supplice insoutenable pour celle qui redoutait qu'il se batte contre le maître grec du combat singulier.
Pour Ulysse, le héros qui survit aux épreuves de Poséidon, même après dix ans de coups d’épées et de flèches troyennes, puis dix ans encore penché au-dessus du bastingage le teint verdâtre, ou attaché au mât pour ne pas céder au chant des Sirènes sur une mer déchaînée remplie de bestioles mortelles, il faut aller rejoindre celle sans laquelle il ne peut qu'exister, sans vivre.
Coûte que coûte.
Si certains étaient séduits, voire tentés par la mise en application de ce « modèle » héroique, qui n’est pas à la portée du commun des mortels, leur personne devra réunir les ingrédients suivants :
- Etre un vrai héros mythique, qui rentre en vainqueur d’une guerre de 10 ans sur une mer déchaînée.
- Etre le conjoint d’une reine hyper-fidèle, coincée 20 ans dans une île à tisser des tapis sans céder à une horde de prétendants.
- Connaître une déesse (pas la voiture) très éprise de votre personne, qui devra presque mourir de chagrin (elle est immortelle) lorsque vous l’abandonnerez après 7 ans de vie commune ainsi que plusieurs de vos enfants.
- Avoir dans vos relations une autre nymphe délinquante qui empoisonne tout ce qui est masculin, cherchant à asservir les hommes, qui est néanmoins une experte du désir, en s’assurant qu’elle en fera uniquement bénéficier l’heureux élu évidemment…sans le transformer en porc un soir d’ennui,
- Crever l’œil d’un cyclope cannibale qui mange vos potes, en utilisant un tronc d’arbre et en s’échappant accroché au ventre de moutons non lavés, en prenant leur fine odeur afin que le géant aveugle ne vous sente pas et ne vous bouffe aussi,
- Trouver au fond des océans un dieu de l’Olympe, Poséidon le père du cyclope, qui déversera sa colère sur vous à cause de cela, imaginant mille tourments à votre attention exclusive durant 10 ans.
…etc.
L’Odyssée est-elle humaine, au terme de son épopée, Ulysse est-il encore un simple mortel ?
En dominant Circé par sa « métis » (en grec ancien " μῆτις " , intelligence rusée, terme qui n’a pas de mot dédié dans notre langue), Ulysse a sauvé ses équipages.
Circé pouvait transformer les hommes en loups dociles, en lions assagis ou (moins tendance) en porcs. La symbolique de l’animal choisi ayant un sens.
La position des femmes dans l’antiquité, enfermées dans un monde d’hommes où elles n’étaient juridiquement que des mineures (y compris au siècle de Périclès - la grande Grèce) méritait peut-être une leçon de modestie.
Ulysse s’est longuement remis des émotions causées par ses épreuves en les remplaçant par d’autres, non mortelles.
Grace à Circé, qui lui a donné ses conseils de prudence, montré les routes à suivre et rendu à son équipage forme humaine, il a pu poursuivre sa quête.
Et satisfaire la volonté de ses dieux protecteurs en assumant sa destinée, en offrant sa personne en quelque sorte.
Circé a-t-elle succombé à son propre désir, jusque-là savamment utilisé pour asservir les hommes, que voulait-elle faire d’Ulysse ?
- Le retenir pour assouvir la malédiction de Poséidon contre le roi-héros.
- Le retenir pour le garder, simplement.
- Lui montrer la route du retour pour l’aider afin qu’il retrouve sa reine et son fils.
- Lui montrer la route du retour pour qu’il rencontre à Ithaque leur fils Télégonos, qu’il ne connaissait pas (l’un des enfants d’Ulysse et Circé).
Ce qui marquera la fin tragique de l’épopée, du « cycle ».
Télégonos aurait ramené le corps d'Ulysse chez Circé.
C'est à dire à une centaine de kilomètres au sud de Rome, au pied du " Monte Circeo ", un massif calcaire baigné par la mer Tyrrhénienne qui était dans l'antiquité l’île d’Ééa.
Le Monte Circeo est depuis rattaché à la terre ferme par l'assèchement des marais. Aujourd’hui encore, si on l’observe depuis la mer, il a l’apparence d’une île.
Ulysse ne serait peut être pas revenu en Grèce.
La notion de "Grèce" n'existait pas à cette époque. Seul le "monde égéen" augmenté des conquêtes en méditerannée occidentale, vaste et pluriel, était le domaine mouvant des rois dit "mycéniens".
Qu'Ulysse revienne pour toujours chez Circé n'aurait ainsi rien de surprenant.
Circé, tu n'as pas un indice ?
Toi qui en lui donnant un fils l’as conduit vers son destin et lui a offert sa dernière demeure.
Encore des détails.
Pour qu'ils changent l'Histoire, seul le tombeau du roi-héros mettra un terme au" Cycle troyen ".
L'homme est devenu un mythe, alors que ses dieux ont perdu depuis longtemps tous leurs croyants.
Tel Poséidon qui a martyrisé Ulysse et n'a plus aujourd'hui que ses cheveux sur le fond des mers, fragiles et arrachés par les ancres ou asphixiés par les poisons modernes (Circé devrait apprécier), les posidonies (" poseidônios ").
Cette Odyssée n'est pas une aventure comme tant d'autres.
Elle se poursuit depuis trente deux siècles et elle n'est toujours pas terminée.
Sans le corps d'Ulysse, la fin de l'épopée reste à écrire.
Trouvons le.
Pour que les aèdes content enfin l'histoire de cette union impossible entre un roi-héros et une nymphe magicienne qui, n'ayant plus a obéir à Poséidon, aurait enfin trouvé le moyen de garder auprès d'elle ce mortel.
A jamais.
...ça en fait des saisons sur Netflix.
Phil