LA DECOUVERTE D’UN OBSERVATOIRE DOGON
(Lire l’article de Jean-Marc Bonnet-Bidaud, Département d’Astrophysique, CEA, France :
https://lastronomieafrique.com/la-decouverte-dun-observatoire-dogon/ )
La connaissance ethnologique des Dogon
La population sédentaire des Dogon occupe les falaises de Bandiagara à l’extrême nord-est du Mali.
L’information la plus détaillée dont nous disposons aujourd’hui sur ce peuple nous vient de travaux éthnologiques menés à partir des années 1930.
Leur « découverte » européenne est une conséquence de la mission Dakar-Djibouti, voyage d’exploration de l’Afrique d’Ouest en Est, organisé par l’ethnologue français Marcel Griaule et si bien relaté par l’écrivain Michel Leiris.
Le passage à Bandiagara en pays Dogon allait déclencher chez Griaule une véritable passion pour cette population préservée, à l’écart de la boucle du Niger et des grandes routes de communication transafricaines, à laquelle il consacrera la majeure partie de son activité jusqu’à sa mort en 1956.
Entouré de plusieurs collaboratrices dont Germaine Dieterlen dès 1935, il recueillera sur place lors de multiples missions, les éléments détaillés des mythes et de la cosmogonie Dogon, publié tout d’abord sous forme littéraire dans « Dieu d’eau » puis plus complètement dans « Masques Dogon » et enfin au travers du travail de synthèse poursuivie par G. Dieterlen avec « Le Renard Pâle ».
Pour aussi imparfaite qu’ait été l’approche ethnologique européenne de cette époque (la mission Dakar-Djibouti contribua sans aucun doute à remplir le nouveau musée de l’Homme de trésors qui devraient un jour retourner dans leurs berceaux africains), l’état d’esprit de ces chercheurs était, pour la première fois, débarrassé du seul point de vue purement colonialiste.
L’étude des savoirs Dogon révélait une richesse si surprenante pour l’époque qu’elle déclencha des attaques mettant en doute l’honnêteté même de leurs sources.
La connaissance astronomique moderne de Sirius
Que cache l’étoile Sirius ?
Sirius est l’étoile la plus brillante du ciel et à ce titre elle ne pouvait passer inaperçue pour l’ensembledes hommes depuis la nuit des temps.
Pourtant, elle n’a pas une place centrale dans la plupart des cultures astronomiques, à l’exception remarquable de l’Egypte ancienne.
Son statut y a été largement documenté.
Désignée sous le nom de « spdt » ou « sepdt » (la pointue), l’étoile est traditionnellement associée au début de l’année égyptienne.
Son lever à l’horizon en même temps que le Soleil (ou lever héliaque), coïncidait approximativement avec la crue bénéfique du Nil.
Le faible nombre de documents réellement utilisables a nécessité de nombreuses « interpolations » pour établir que ce phénomène avait permis aux égyptiens, sans doute dès le XXe siècle avant le début de l’ère moderne, d’obtenir une valeur très précise de la durée de l’année, en réglant ainsi leur calendrier sur la sphère des étoiles plutôt que sur le Soleil ou la Lune.
La science moderne va révéler un autre aspect de Sirius.
En 1844, le mathématicien prussien Friedrich Bessel, en étudiant le mouvement de Sirius déduit la présence d’un autre corps perturbateur en orbite autour de l’étoile dont la masse doit être au moins égale à celle du Soleil ( !).
Cette « étoile-compagnon » était pourtant invisible à l’époque, c’était un « soleil noir ».
Les premiers progrès des instruments astronomiques allaient lui donner raison.
En 1862, l’opticien américain Alvan Clark, à l’aide d’une lunette de 47 cm de diamètre, la plus grande pour l’époque, fut le premier à apercevoir le « compagnon » de Sirius, une petite étoile dix mille fois plus faible que Sirius et située à très faible distance d’elle.
Des mesures précises réalisées en 1914 par Walter Adams allaient prouver que la température de ce « compagnon », nommé Sirius-B, était très élevée, environ 8500 degrés, bien supérieure à celle du Soleil et que sa taille était très petite, comparable à celle d’une planète comme Neptune.
Ces étoiles baptisées « naines blanches » sont les restes d’étoiles dont le cœur s’est effondré pour former un petit astre d’abord très dense et chaud qui se refroidit ensuite lentement.
Le compagnon de Sirius est la première et la plus proche des quelques milliers de « naines blanches » découvertes à ce jour.
L’étoile est invisible à l’œil nu, en premier lieu bien sûr car elle est noyée dans le halo de lumière diffusée par Sirius.
Mais, même isolée dans le ciel, une étoile comme Sirius-B resterait inaccessible à l’œil nu car elle est environ dix fois plus faible que ce que l’œil humain peut percevoir.
Sa trajectoire autour de Sirius-A est relativement bien connue.
C’est une orbite que Sirius-B parcourt en 50 ans et 18 jours, selon une ellipse relativement aplatie (d’excentricité 0,59), de sorte que sa distance à Sirius-A varie selon les époques.
Sur le ciel, l’écart entre les deux étoiles varie entre 3 et 12 secondes d’arc (1 seconde d’arc est l’équivalent d’une pièce de monnaie de 1 cm vue à 2000 mètres de distance).
L’œil humain ne peut distinguer que des angles supérieurs à environ 90 secondes d’arc donc les deux étoiles ne sont pas séparables à l’œil nu.
L’analogie entre certains aspects des récits Dogon et les découvertes scientifiques concernant Sirius n’a pas manqué d’être relevée.
Parmi ceux-ci, l’existence même du « compagnon », les caractéristiques de sa trajectoire, sa nature dense et son caractère de matière « essentielle » car la matière d’une naine blanche est effectivement le creuset où ont été fabriqués tous les éléments chimiques autre que l’hydrogène et l’hélium.
Soyons clairs, la transmission directe d’informations scientifiques aux Dogon, totale ou partielle, est plausible, peut-être même probable, mais il n’y a aujourd’hui aucun moyen de le prouver.
En revanche, même dans ce cas, le fait le plus intéressant concerne l’intérêt éminent que les Dogon apportent à ces connaissances, traduisant ainsi leurs interrogations astronomiques fondamentales.
Au-delà de la volonté d’identifier l’origine de ces informations, il semble plus essentiel de comprendre comment elles sont venues s’associer aux conceptions très élaborées qu’entretiennent les Dogon avec l’étoile Sirius qui, elles, ne peuvent être mises en doute.
C’est à l’issue de longues interrogations sur ce sujet avec Germaine Dieterlen qu’il a été décidé d’entreprendre une enquête très concrète sur le terrain, destinée à préciser les connaissances astronomiques des Dogon.
L’observatoire de Sanga
La mission a été conduite au Mali du 27 juillet au 8 août 1998, elle associait les ethnologues Germaine Dieterlen et Jean Rouch, le réalisateur Jérôme Blumberg, les informateurs Dogon, Diamguno Dolo, Anagali Dolo, Pangalé Dolo et Ibrahim Guindo et l’auteur de l’article (Jean-Marc Bonnet-Bidaud, Département d’Astrophysique, CEA, France).
Un site en particulier a été relevé, le lieu-dit « Polio-kommo » ou « caverne du traversement», situé à environ 4 km à l’ouest du village de Sanga.
Ce site est organisé autour d’une gigantesque table de pierre d’une longueur approximative de 13 mètres, surplombant un ensemble de rochers (Figure 1).
Les premières photos prises par G. Dieterlen en 1954, montrent la table intacte alors qu’actuellement elle est brisée en deux avec des traces caractéristiques de foudre.
Sous la table, approximativement au milieu, était ménagé, un trou où un homme pouvait se glisser, aujourd’hui comblé par l’effondrement.
Ce site est considéré par les Dogon de Sanga comme le lieu symbolique où l’arche (ou le panier) transportant les premiers ancêtres s’est posée sur la Terre dans la genèse Dogon.
A côté de la table, qui symbolise l’arche, sont disposés, au sud, quatre rochers figurant les quatre ancêtres à l’origine des quatre grandes familles Dogon, les Arou, Dyon, Ono et Donmo.
Enfin, à l’est de la table, se trouvent deux rochers séparés d’environ 20 m et qui sont désignés comme le rocher du Soleil (coté Nord-Est) et de Sirius (côté Sud-Est), respectivement à 43 m et 29m de la table (Figure 2).
" The kingdom of stars "
La mythologie égyptienne associe l'étoile Sirius à Anubis, le dieu anthropomorphe des Morts, au corps d'homme et à tête de chacal.
En latin " Canicula " est aussi le nom donné à Sirius, la plus brillante des étoiles fixes, qui est l'étoile principale de la constellation du " Grand Chien ", située à plus de huit années-lumière.
Elle est également la cinquième par ordre de distance au Soleil.
Et cela a toute son importance.
En effet, dès l'Antiquité les astronomes ont observé que le soleil, l'étoile centrale de notre système solaire, se lève et se couche avec la constellation du " Grand Chien " entre le 22 juillet et le 23 août. Période pendant laquelle apparaissent les fortes chaleurs.
L'étoile Canicula (diminutif qui signifie « petite chienne ») donne ainsi son nom aux " Canicules " estivales, tristement célèbres désormais.
Chez les grecs elle est connue sous le nom de Sirius qui vient du grec ancien « seirius », signifiant «brûlant», «ardent».
Dans la mythologie grecque Sirius est le nom du chien d'Orion, célèbre chasseur.
Comme souvent, le nom de nos constellations, de nos planètes et des corps célestes de notre univers se lient au divin.
« The kingdom of stars » est une fiction extrapolée des mythes, de la culture et de la passion des Dogons pour Sirius, étoile aussi lointaine qu'éblouissante.
On a découvert il y a peu son "compagnon" caché, Sirius B, une "naine blanche" plus dense que notre soleil, qui brûle d'une ardeur de 8500 degrés pour Sirius A et s'enroule en ellipses de 50 ans autour de son étoile maîtresse.
Ce ballet cosmique tournoie comme un couple de lumière, une passion stellaire faite de photons qui illuminent l’espace environnant et rayonnent jusque dans l’obscurité d'un pub du Bronx...
phil@musebox.net
Fig. 1- La grande arche de Polio-Kommo (Sanga-Mali).
La grande dalle de pierre a une hauteur de 6 à 8 m et une dimension d’environ 14 m de long et est orientée approximativement nord-sud. Le point d’observation depuis la table est marqué par un « trou d’homme », ouverture traversant le rocher, visible sur la photo de la face Est, obtenue en 1954 par l’ethnologue Germaine Dieterlen. La photographie de l’arche, prise en 1998, montre le basculement de la table de pierre probablement sous l’effet de la foudre, bouleversant la disposition antérieure. Le point d’observation est en partie comblé.
Fig. 2 – Le relevé du site de Polio-Kommo – Relevé général du site montrant l’orientation et la disposition de l’arche et des deux rochers du Soleil (au nord-est) et de Sirius (au sud-est).
Vue depuis le point d’observation de l’arche, la direction géographique exacte des extrémités des rochers est de 74° (Soleil) et 110° (Sirius). Ces directions coïncident assez exactement avec la direction d’apparition du Soleil (71°) et de Sirius (107°), à l’époque de l’année de leurs levers presque simultanés (lever héliaque).